Le Sophiste est
communément classé parmi les dialogues
métaphysiques, tout comme le Théétète,
le Cratyle, le Parménide, le Timée et le
Critias.
Tirant son nom de l’objet premier du dialogue, déterminer
ce qu’est ce sophiste que l’on méprend si aisément avec le philosophe, l’ouvrage
va aussi rechercher la possibilité du discours faux, nié par le sophiste, et du
non-être. Un étranger d’Élée, invité au dialogue, va donc interroger un Théétète
quelque peu candide et tenter de démêler une définition pour le sophiste,
utilisant à proprement parler d’une méthode [déductive des genres les plus
englobant] qui sera reprise plus bas, après une digression cruciale traitant du
non-être, du discours et de la dianoia.
I. La chasse à la définition du sophiste
Il faut tout d’abord, selon l’étranger, simplifier l’objet
de la discussion, afin de trouver la méthode de définir : à la place du
sophiste, on prendra donc le pêcheur à la ligne, puis procédera par divisions
successives à partir du genre :
(1)
[219a] Est-il « artiste » ou étranger à tout art ? De là, distinction
entre l’art de faire (agriculture, art des ustensiles, arts d’imitation) et
l’art d’acquérir (enseigner, gain, combat, chasse...) Le pêcheur est compris
dans le premier genre. Puis on distingue, pour celui-ci, entre l’acquisition volontaire
(dons, marchés) et violente (ouverte, le combat, ou rusée, la chasse). Cette dernière se subdivise
entre chasse des inanimés et chasse des animés, celle-ci comprenant la chasse
des animaux marcheurs et nageurs, et celle-ci divisée en volatiles et aquatiques.
Pour ces dernières, la chasse s’appelle pêche, divisible en deux espèces selon
qu’elle est faite à l’aide de rets ou de fer (hameçon, harpon). De même, il
faudra, pour le sophiste, savoir d’abord s’il est ignorant ou s’il possède un
art. Comme le pêcheur à l’hameçon, le Sophiste est un chasseur, mais à partir
de la subdivision des animaux marcheurs, elle-même scindée en animaux
apprivoisés, dont l’homme, et sauvages. Chez les apprivoisés, on a la chasse
violente (guerre, tyrannie) et persuasive (tribunaux, assemblées, conversations),
elle divisée en publique et privée (salaire et dons). Ici la sophistique est
une chasse.
(2)
[223c] Il faudra cependant remonter à la division de l’art d’acquérir : chasse
et consentement. Dans cette dernière il se trouve la donation et le commerce, lui divisé en commerce de
première main et de seconde (le produit des autres) ; celui-ci en détail
et négoce ; celui-ci en ce qui est pour le corps et ce qui est pour l’âme ;
celui-ci en luxe et connaissances ; celui-ci enfin en connaissances des
arts, en connaissance des vertus.
(3)
[224d] En outre, un homme dans une ville qui fabriquerait lui-même des
connaissances et les vendrait serait un sophiste.
(4)
[225a] Nous pouvons à nouveau remonter au genre de l’acquisition violente,
comprenant la chasse, mais aussi le combat
duquel on distingue celui pour l’honneur et le combat sérieux, lui-même de corps
ou de discours — la controverse, décomposable comme suit : longs discours
et dispute. Celle-ci, si elle n’est bavardage, peut ruiner ou enrichir.
L’étranger
institue alors un « art de démêler » [226c], où l’on peut séparer le
meilleur du pire, ou le semblable du semblable. On parle, pour la première
opération, d’épuration, divisée en celles portant sur le corps (gymnastique,
etc.) et celles portant sur les objets (lavage, etc.) Il suffit pour les faire
contraster avec l’épuration de l’âme, où l’on retranche deux sortes de
mauvais : la désunion apparentée à la maladie du corps — la méchanceté, — et ce qu’au corps est la
laideur — l’ignorance. Celles-ci
correspondent aux soins qui sont la médecine — la justice — et la gymnastique — l’enseignement.
(5)
Par la réfutation, amenée depuis l’enseignement, le sophiste sera le
purificateur de l’âme de ceux qui croient savoir.
L’objet
de la sophistique étant indéterminé, et l’homme ne pouvant réellement tout
savoir, le sophiste le semblera [233c]. Comme dans le Cratyle [387b], Platon passe de l’image [l’action] au discours.
Mais cette fois il l’enchâsse dans l’argument non de la naturalité, mais de
l’apparence.
II. Le non-être et le discours faux
1.
La possibilité du non-être : l’impasse du mot « cratyléen »
L’imitation
permet d’en voir une qui copie selon
les mêmes mesures, et une autre qui créé l’illusion selon le point de vue et
l’esthétique [236a], qui sera appelée un « fantôme ». [237a] Cela amène à considérer s’il y a des paroles
fausses, et si le non-être est.
Le
non-être ne peut être appliqué à aucun être, ni à quelque chose, qui se dit
toujours avec l’être. Or on ne peut sans se contredire énoncer le non-être, et
pourtant nous venons de lui attribuer l’unité ; or comment pourrait-on
attribuer quelque chose à un non-être ? La nommer simplement consiste à
lui donner l’unité.
Et
si l’on considère l’apparence comme non-véritable, là nous attribuerons à
l’être le non-être.
Ainsi,
C’est dire que Parménide concevait une séparation absolue
entre l’être et le non-être, alors que l’étranger ici se met en quête d’une
certitude, car l’être comme l’autre peuvent tomber sous les coups de
l’ignorance. Il interroge d’abord l’être [243d], et tombe dans l’aporie de la
nomination et de la chose : au préalable, nommer « quelque
chose » (l’être) « un » revient à donner deux noms à une seule
chose. De plus,
Ce qui au Moyen Age sera le débat entre le nominalisme
(les idées générales ne sont que des mots) et le réalisme (ces idées supposent
quelque chose de réel). L’unité est-elle unité de l’unité, ou unité d’un
nom ?
Au-delà, l’être de
Parménide semble être fait de parties, puisque le maître dit du tout
qu’il est, et est sphérique. Si l’on concède que ces parties participent
également au tout, peut-on encore dire que cet être est un ? (si la partie
différera de l’unité, l’être se manquera à lui-même, sera un non-être).
L’étranger passe ensuite à l’étude où s’opposent les
physiciens atomistes, qui confondent le corps et l’être, aux mégariques. Aux
premiers il oppose l’invisibilité de la sagesse, impliquée par l’âme qui veut
la différence entre les hommes, âme reconnue comme corps par ces physiciens.
Puis le locuteur leur suppose la définition de l’être comme puissance [247e]. Aux seconds il oppose l’idée de
l’action dans la connaissance, qui impliquerait que l’être comme connu soit passif,
et mis en mouvement par elle. Pourtant ils disaient [248c] que la puissance
passive ne convenait pas à l’être.
[249c] Le philosophe doit considérer le repos et le mouvement comme corrélatifs, sans qu’ils puissent se mêler [voir
aussi 252d], et le problème suivant : si eux deux « sont »,
l’être leur sera tiers.
Certains genres (comme l’être) peuvent se mélanger [253b], comme les lettres de l’alphabet
que l’art du grammairien dévoile. Ici, les idées (les êtres) sont démêlées en
genre par la dialectique, puisqu’elles peuvent s’allier et se désunir du
mouvement et du repos, sans leur être identique : mouvement et repos ont
en commun autre chose qu’eux-mêmes (l’un se mettrait en repos, l’autre en
mouvement), l’être.
L’être et le même
ne peuvent pas être mêmes [255b] : le mouvement et le repos
participeraient seulement au même, pouvant pourtant être autre.
L’être et l’autre
ne peuvent pas être autres : autre se dit toujours d’autre chose ; or
l’être peut être dit sans rapport à autre chose.
[257b] Or le
non-être n’est pas le contraire de l’être, pas plus que le contraire du grand
est le petit (il peut être le moyen). Prenant pour base la relation entre être
et autre, et leur propriété de pénétrer en tout, il faudra d’abord distinguer
le contraire de l’être de quelque chose d’autre que lui. Et si le
non-beau consiste à opposer un être à un être, de même le non-juste, le
non-être (peut-on noter ici l’absence de l’abyme ?)
2. Le non-être, l’opinion et le discours
Cette partie est essentielle puisque le sophiste pourra
encore s’échapper des mailles du filet en disant que l’opinion et le discours
ne participent pas au non-être, et seront toujours vrais. En effet, si le
non-être ne se mêle pas à l’opinion, tout sera vrai. S’il s’y mêle, l’opinion
sera fausse (la fausseté implique l’erreur et l’apparence).
[231d] Après avoir
montré qu’une suite de mots, noms ou verbes, ne forment pas discours, mais
sont simple nomination. Il faut contraire que noms et verbes (actions et
existence) s’accordent.
Comme pour les choses, certains mots ne s’accordent pas.
Le discours doit nécessairement être dit de quelque
chose, et qu’il a certaines qualités (vrai ou faux) : si « Théétète
est assis » et « Théétète vole », les deux seront dit de
quelqu’un, mais seul le premier sera vrai. En outre,
Ainsi, à l’impasse du mot l’on appose le baume du
discours, ce qui chez Aristote deviendra la proposition : dire le vrai ou le faux implique l’union, l’entrelacs
du nom et du verbe, et l’on peut enfin distinguer entre fonction
significative (identification) et fonction prédicative du logos.
En outre, le discours est à la parole ce que l’opinion est à la pensée, et ce que la sensation est à l’imagination. (Pour la pensée, voir Thééth., 189e).
Enfin, il existe un art de tromper ; il faut alors
revenir à I : la puissance de faire :
Les divisions entre les simulacres se poursuivent jusqu’à
distinguer l’imitation ignorante de l’imitation savante.
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